mercredi 16 juillet 2014

Matriochka.

Elles m'ont toujours captivée. Ma cousine France en avait dans sa chambre. J'ai souvenir de les avoir beaucoup manipulées et examinées. J'aimais leur forme, leur lustre. J'aimais me questionner sur leur origine.

Beaucoup plus tard, au Cégep, j'ai vu le film d'Alain Resnais,  ''Mon Oncle d'Amérique''. Ce film m'avait subjuguée. La prémisse de ce dernier, repose sur les propositions d'un philosophe, Henri Laborit. Laborit était également médecin et neurobiologiste. Toujours est-il, que les Poupées Russes ont une place de choix dans le film de Resnais.

Quelques années plus tard, j'ai vécu en région et j'ai fait la connaissance d'un homme qui m'a beaucoup marquée. C'était un homme qui vivait très simplement. Quand on lui demandait ce qu'il avait fait comme travail, il répondait qu'il avait été travailleur social. Mais quelqu'un m'avait informée qu'il était également docteur en psychologie. C'est lui qui a semé les graines de ma passion pour la neuroscience. Je me souviens qu'il parlait très doucement. Il n'y avait d'autre option en sa présence, que de porter attention, de peur de perdre le fil de ce qu'il racontait. Il vivait dans un tout petit chalet en bois rond. Il y avait des livres partout- même dans la cuisine-bien cordés par ordre alphabétique, sur des étagères qu'il avait lui même construites.

Un jour, après que nous eûmes roulé près de jeunes enfants-des enfants de 10-12 ans-reniflant de l'essence à même des sacs à ordure; je lui avais demandé comment il faisait pour côtoyer, de manière si détachée, autant de misère humaine. Nul besoin de préciser à quel point la scène m'avait choquée et perturbée. Il faut comprendre que j'étais très jeune. Mon indignation s'abreuvait à la source de ma bien naïve vision du monde. Une vision à l'image de la banlieue confortable dans laquelle j'avais grandi. Une vison qui s'apparentait à l'époque, aux belles haies de cèdre et aux belles pelouses qu'on y retrouve. Chaque chose à sa place, bien taillée, bien propre. Rien pour choquer le regard.

Pour toute réponse, mon ami m'avait emmenée dans sa maison. Pendant que l'eau bouillait pour le thé, il s'était employé à chercher des livres.* Sa recherche terminée, il les avait déposés sur la table en disant :

 '' Voilà. Tout y est. Tu veux savoir qu'est-ce que je pense de ce que nous avons vu. Lis ça et tu pourras saisir. Je te les donne. Tout y est pour comprendre. Et c'est bien là la clef, Caro. Comprendre. ''

Je les ai lus ses bouquins. En fait, je les ai dévorés. J'ai toujours beaucoup lu. Bien sûr, je n'y avais rien compris. Le Temps a passé et la Vie a suivi son bonhomme de chemin. J'ai tout oublié. Rangé dans les tiroirs de ma mémoire. J'ai même oublié mon ami.

En fait, j'ai pensé l'avoir oublié.

Il y a environ 4 ans, j'ai commencé à participer à un forum de thérapie manuelle. J'ai commencé aussi, à des fins professionelles et didactiques, à explorer le monde des réseaux sociaux. Il me fallait choisir un avatar. J'ai opté sans hésitation, pour les Poupées Russes.

Dans ces discussions, il est question de neuroscience, de stress, de neurobiologie comportementale, de philosophie, de phénoménologie. Tout ça était nouveau pour moi. Mais à la fois très familier. Jusqu'à ce qu'un pote Facebook mentionne le nom de Laborit. Et voilà que ma mémoire a tout déballé. Les livres, la cabane, le film, les petits enfants.

Mon ami.

J'ai changé depuis. Ma vision du monde aussi. Je suis plus tolérante, Plus patiente. ( Un tout petit peu plus...)

À chacun de mes rendez-vous avec les Petites Souris, je me rappelle que chacune d'elles est exactement comme mes bien-aimées Poupées Russes; uniques, complexes, imbriquées...

Cela me rappelle qu'il n'est pas question, dans l'Espace-Temps que nous partageons, de ce que j'essaie de leur enseigner, mais bien de ce qu'elles m'apprennent ; la tolérance, la patience, la joie, le bonheur, la compassion, l'empathie. Et j'en passe. Le Ici et Maintenant.

Vous ai-je dit qu'elles me manquent beaucoup?

Serrez-les bien fort de ma part.

Bonne semaine à tous et toutes,

Caro.


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*Phénoménologie de la perception. Merleau-Ponty
 Éloge de la fuite. Henri Laborit.
 L'aggressivité détournée. Henri Laborit.
 L'inhibition de l'action. Henri Laborit.
 La nouvelle grille. Henri Laborit.